Mina Agossi, marraine du festival bayonnais La Ruée au Jazz, s’est livrée à un entretien "de femme à femme" avec toute la générosité qui la caractérise. Elle explique les tenants de son engagement auprès des organisateurs mais aussi comment elle vit, respire et pense le jazz dans sa vie ou les difficultés que peuvent rencontrer les femmes dans le milieu.
Pourquoi soutenir la Ruée au Jazz depuis ses
débuts?
Parce qu'on me l'a demandé (rire). Le festival n’était même pas créé que j'en étais la marraine. C'est une histoire très très jolie, très romantique, très douce.
J'étais chez moi, j'ai reçu un coup de téléphone de Sabry Bouchfar et Stéphanie Carré qui m'ont dit avoir trouvé mon disque dans un centre commercial du coin. J'étais étonnée car je n'étais pas connue comme maintenant. Ils m'ont dit avoir été intrigués par la pochette et avoir adoré. Ils m'ont expliqué qu'ils voulaient créer un festival de jazz suite au Jazz aux remparts qui n'existe plus et qu'ils voulaient que je sois la marraine.
Un festival qui n'est pas encore là et on me demande d'être la marraine, j'ai trouvé cela génial, j'ai accepté tout de suite.
En quoi se distingue-t-il des autres festivals ?
Il est tenu par des gens très jeunes qui n'avaient aucun moyen avec un esprit de jazz accessible à tous. Il y a des spectacles de rues, de très grandes pointures et cela ne dépasse pas les 15euros. On a beau chercher c'est très compliqué de trouver ce genre de démarche. Ils sont uniques, c'est pour cela que je suis très investie. Je viens deux fois par an à Bayonne pour suivre le dossier de très près. J'assiste aux réunions du conseil de la mairie.
Je suis une marraine active et non passive. Je refuse de me programmer systématiquement comme font certains parrains. Cela fait 4 ans que je n'ai pas fait de concert. Je ne veux pas abuser du statut de marraine. Pour moi être marraine, c'est s'investir à fond et non simplement donner une crédibilité ou des subventions. Je veux m'impliquer, vivre leurs problèmes avec eux, savoir quelles sont leurs sensibilités par rapport aux artistes.
Plus précisément et au quotidien, qu'est-ce que
le jazz représente pour vous?
C'est un état d'esprit, je suis franchement jazz même si j'ai aussi un peu de rock. Je ne suis pas punk comme certains pourraient le croire à certains moments. C'est une manière de penser la vie: comment laisser de la place aux gens pour s'exprimer.Dans la vie de tous les jours je suis comme ça, j'aime bien apprécier les moments qui s'offrent à moi. Carpe Diem, c'est très jazz. Ma philosophie de vie est le jazz.
Votre nouvel album Simple things est-il dans la
continuité des précédents?
Il a évolué dans le sens où c'est le disque le plus abouti que j'ai fait. Il marque la fin du trio qui va être développé en quintet. C'est mon petit chouchou. C'est le résumé de tout ce que j'ai fait sur le travail contrebasse, chant, batterie sur 10 ans.
Auteur compositeur, vous chantez. Comment
conjuguez-vous ces pratiques?
C'est très rare de faire les trois simultanément. Je compose dans ma tête, je ne sais pas lire la musique. Par contre je demande au bassiste d'écrire les notes que j'ai chanté. Cela ne m'empêche pas de composer. Je trouve assez choquant de voir qu'il y a toujours un rôle assez restreint pour la chanteuse. Quand elle est compositeur en plus, cela étonne. C'est assez rare pour être noté. Je suis très heureuse d'être compositrice en plus car j'ai vu dans ma carrière que je me suis fait respecter du jour au lendemain. Tant que j'étais chanteuse je n'étais pas prise au sérieux. Dès qu'on compose il se passe quelque chose. C'est incroyable mais cela fait partie des vieux clichés.
Quelle est donc la place de la femme en
jazz?
Les femmes qui chantent souffrent souvent d'un regard étrange de la part des hommes. On n'en parle pas. Dans la tête des gens, si tu fais du jazz, tu es chanteuse. C'est dans l'inconscient collectif. La femme en jazz est chanteuse, point barre. C'est pour cela que les femmes instrumentalistes en jazz ont du mal à se faire respecter. Il faut passer outre les interrogations sur les études, question que l'on ne posera à un jeune mec. En rock, il n'y a pas ce genre de discriminations. En rap, c'est plus dur mais on perçoit mieux la femme dans ces autres genres. En jazz, la femme fait joli sur scène. C'est comme cela que j'ai commencé. Les hommes avaient moins de dates sans chanteuse. C'est un truc qui passe avec l'âge. Il faut taper des poings sur la table et l'égalité totale s'installe. Le parcours est plus complexe.
Où allez-vous chercher l'inspiration?
J'observe des scènes de la vie, cela me fait tiquer. Il se passe quelque chose dans ma tête. Je rêve souvent les mélodies. J'ai un dictaphone à côté de moi dans la nuit. Il y a plein de choses que j'ai ratées comme ça parce que je n'arrivais pas à brancher mon truc. Comme je n'écris pas, je ne peux même pas écrire la mélodie sur une feuille, je suis obligée de la chanter et de l'enregistrer sinon je ne m'en rappelle absolument pas. C'est trop frustrant.
Vous chantez beaucoup en anglais, c'est une
question de phonétique qui serait plus adaptée au jazz?
La phonétique anglaise est beaucoup plus chantante. C'est une règle de la langue. Le français est une langue poétique, très liquide avec laquelle on ne peut pas jouer avec les sonorités. Si on n’est pas poète en français, il ne vaut mieux pas chanter, cela devient vite ridicule. L'anglais est très jazz de par sa sonorité, on peut faire beaucoup de jeux, d'onomatopées. Et puis c'est aussi la langue qui s'ouvre sur les autres. Et puis, je fais du Jazz, je suis donc très respectueuse des racines afro-américaines du genre. Je chante les plus grands saucissons légendaires que tout le monde connaît pour avoir été bercé par ça. Ils savent très bien de quoi je parle. Certaines chanteuses non anglophones passent à côté de standards de jazz car elles n'ont pas les mêmes références culturelles et linguistiques. Cette culture du jazz est anglophone, donc il faut aller aux Etats-Unis, comprendre comment ils pensent les mots.