La première déclaration, la santé et la vitalité d’Ingrid Betancourt juste après sa libération m’ont ahuri et bouleversé. Est-il possible d’en appeler aussitôt à la clémence envers ses bourreaux ? Oui ! C’est une ère de paix qui s’ouvre au-delà de toutes les récupérations politiques qui ne manqueront pas d’arriver, mais qu’importe si la transformation est là.
La nuit du samedi 28 au dimanche 29 juin était la "Nuit des veilleurs". Nous avons prié comme des centaines de milliers de personnes dans le monde pour les victimes de la torture et des mauvais traitements. Les 700 otages colombiens des Farc étaient parmi les premiers cités et bien présents dans nos pensées. Le mercredi 2 juillet la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt et ses compagnons d’infortune étaient libérés. Ce qui est remarquable c’est qu’un véritable miracle a eu lieu car cette libération s’est produite sans un seul coup de feu tiré et sans aucun dommage.
Contrastant avec ses anciennes déclarations de captivité "nous vivons comme des morts", je ne résiste pas au plaisir et à la joie de citer celle qui est devenue tout simplement Ingrid : "Ma libération est le signe d’une paix future en ColombieŠ J’ai remercié Dieu d’être avec des gens qui respectent la vie des autres même si ce sont des ennemisŠ Les guérilleros qui nous ont gardés, nous les avons laissés vivantsŠ Ils ne sont pas coupables de ce qui s’est passéŠ Nous, les Colombiens, nous savons que nous avons des frères de l’autre côté de l’Atlantique, en FranceŠ Que l’on n’oublie pas que c’est un miracle, que d’autres sont mortsŠ L’union nationale, l’union des Colombiens, va nous faire sauver les otages, sains et saufs."
C’est la victoire de la ruse sur la force brute, de la compassion sur la vengeance, puisqu’Ingrid a bien affirmé son souhait que tous les combattants des Farc soient laissés en vie. Il existe déjà en Colombie une loi dite de "Justice et Paix" promulguée en 2005 par l’actuel président Alvaro Uribe. Cette loi stipule une peine maximale de huit ans de prison si les combattants illégaux confessent librement leurs délits. Souhaitons que maintenant il aille encore plus loin dans la clémence et dans la réconciliation nationale.
Cette démarche de paix était déjà engagée depuis onze ans par "la Communauté de paix" en Colombie. Elle a été créée en 1997 par une centaine de familles de la région de San José de Apartado (département d’Antioquia) pour éviter le déplacement face à la violence des paramilitaires qui ont investi la région à la fin des années 90. La Communauté de paix est régie par un règlement de vie où les membres s’engagent à travailler collectivement pour le bien-être de la communauté et à ne pas participer au conflit, ni apporter aucune aide aux acteurs armés. Leur démarche est non violente. En dix ans, plus de 160 de leurs membres ont été assassinés. Elle était dans la ligne de mire du gouvernement par son refus de permettre la présence de l’armée à l’intérieur de son territoire.
N’oublions pas que la situation de tant de Colombiens est extrêmement difficile, qu’ils vivent une grande pauvreté et que cette situation-là doit changer aussi. La Colombie vit depuis plus de quarante ans une situation de conflit armé interne chronique caractérisée par la présence d’acteurs multiples. Les forces gouvernementales, les groupes paramilitaires et les guérillas agissent dans un contexte où le trafic de drogue vient rendre encore plus trouble une situation très difficile. Le pays connaît de très graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Toutes les parties au conflit sont responsables de ces atteintes. Si la plupart des massacres, des "disparitions", des actes de torture ou des exécutions extrajudiciaires sont le fait des paramilitaires seuls ou en lien avec les forces armées, les guérillas sont également responsables de nombreuses atrocités et notamment des prises d’otages à caractère politique.
La population civile, particulièrement les paysans, souvent prise entre deux feux et contrainte au déplacement interne est la principale victime de cette situation. Avec plus de trois millions de personnes déplacées au cours des dernières années, la crise humanitaire colombienne est considérée comme l’une des plus graves au monde. On compte plus de 70 000 tués et des milliers de personnes disparues et torturées. Certains groupes sont particulièrement vulnérables : les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les syndicalistes, les leaders communautaires, certains élus, les groupes afro-colombiens et les Indiens.
Le temps est sans doute venu qu’une ère nouvelle s’ouvre dans le monde, que l’ahimsa, la non-violence de Gandhi prenne enfin place dans nos esprits, pour que nous atteignions enfin cette paix et cette unité tant attendue.