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Le JPB > L'opinion > Un coup d'oeil sur 2008-03-12
29.02.2008 / écrit par Henri Maler
Un film à voir et à débattre

Produit par "La Sardonie libre", diffusé par Le Plan B[1], le film de Damien Doignot ­ "José Bové: le cirque médiatique" - analyse et met en débat le rapport que les contestataires entretiennent avec les médias, à travers l’exemple de la médiatisation de José Bové (et très secondairement d’Olivier Besancenot). L’occasion pour nous de poser quelques questions, et de les mettre, à notre tour, en débat.

Evidemment, ce n’est ni le militant, ni le porte-parole, et encore moins la personne de José Bové qui sont en cause dans ce film, mais les effets et les méfaits d’une médiatisation dont il fut à la fois l’acteur et la proie. Un symboleŠ

Médiatisation

Tous les acteurs de mouvement collectifs ­ associations, syndicats, partis politiques ­ sont confrontés aux problèmes que soulève leur médiatisation. Tous les acteurs interrogés dans le film ­ José Bové, Olivier Besancenot, Alain Krivine, mais aussi le groupe Zebda - savent qu’entre les compromis (parfois souhaitables) et les compromissions (toujours déplorables) la frontière est ténue et doit être retracée en permanence. Tous le savent, tous le disent. Mais le film de Doignot est focalisé sur des compromissions qui peuvent difficilement passer pour des compromis.

"Passer" dans les médias dominants quand on conteste leur domination ne va pas sans quelques contradictions. Mais assumer certaines de ces contradictions, ce n’est pas revendiquer une totale incohérence. On ne peut à la fois déplorer constamment ­ et à juste titre ­ de voir défigurer les mobilisations sociales et les convictions politiques que l’on défend et s’obstiner à le taire dans les médias, sous prétexte qu’ils ne vous concèdent qu’une présence fugitive (quand ils ne l’instrumentalisent pas purement et simplement). On ne peut à la fois proposer de transformer un monde médiatique qui soutient l’ordre social et politique que l’on conteste et omettre de mentionner dans les médias les critiques qui justifient ces propositions.

Sans doute toutes les émissions de radio et de télévisions ne sont-elles pas équivalentes. Et "Le cirque médiatique" privilégie les plus contestables. Mais comment rendre cohérentes la participation à des émissions de mélange des genres qui contribuent à la dépolitisation des publics auxquels elles s’adressent et la nécessaire contestation de ces émissions?

Pitreries

Le film de Doignot multiplie les exemples de pitreries médiatiques dans lesquelles des bateleurs se font mousser aux dépens de celui qu’ils interrogent. Ainsi lorsque José Bové est invité par Thierry Ardisson, à choisir, au cas où il devrait être surpris avec l’un des deux sur sa table de nuit, entre "un exemplaire de Mein Kampf et un godemiché"; ou quand Olivier Besancenot est interrompu par Laurent Baffie qui lui demande: "toujours ensemble avec Arlette (Laguiller)" ou "c’est juste un coup comme ça?" Ou encore quand José Bové accepte de banaliser son propre emprisonnement, en se montrant à l’écran menotté à Michel Drucker.

Comment ne pas devenir soi-même un pitre quand l’on se prête aux pitreries d’un Laurent Baffie ou d’un Karl Zéro? Comment se défendre de toute connivence, tacite ou affichée, avec des animateurs plus soucieux de leur propre publicité et, dans les deux sens du terme, de leur propre "valorisation" que de l’information sur les luttes et les convictions de leurs invités? (Š)

Est-ce vraiment, sous couvert de refuser tout élitisme, échapper au mépris du peuple que de participer à des émissions qui le méprisent? Est-ce vraiment contribuer à défendre des convictions (et les positions des mouvements que l’on représente) que d’accepter d’en faire une simple occasion de divertissement? Faut-il, à toutes forces, se rendre sympathique (et sympathique d’abord aux animateurs d’émission) pour emporter l’adhésion à des idées?

Personnages

Le film de Doignot multiplie également les exemples qui montrent ce qu’il en coûte de concourir à une personnalisation médiatique qui, même quand on ne cède rien sur sa vie personnelle, transforme le porte-parole qui personnifie un mouvement collectif, en personnage pour médias. Un personnage incité à interpréter un rôle ­ comme on parle d’un rôle de théâtre ou de cinéma ­ que les médias ont écrit à son intention et parfois même avec son concours. Au risque d’être proprement "enrôlé" par les médias dominants et ainsi d’être plus ou moins confondu avec son propre personnage médiatique - le facteur de Neuilly ou le gaulois du Larzac -; au risque de découvrir que ce personnage au lieu d’incarner des idées et le collectif qui les défend finit par les occulter; au risque de devoir supporter que la consécration médiatique d’un porte-parole rende difficile, voire impossible l’expression de tout autre (Š). On voudrait croire que ces dangers sont rigoureusement évalués Š

Š D’autant que, une fois consacré par les médias, le personnage médiatique risque de devenir leur proie. Le film montre très bien comment, José Bové, porte-parole militant (dont on peut ne pas partager les convictions et les engagements, mais qui leur doit sa fonction de porte-parole), devient un personnage médiatique construit par les médias (mais avec son concours) peut, par ces mêmes médias, être traité uniquement comme leur personnage, voire leur créature, et, le cas échéant, déconstruits par eux. C’est ce que rappelle Damien Doignot en revenant notamment sur le reportage d’Eric Lehnich: "José Bové, enquête de personnalité", diffusé sur Canal +, en octobre 2002, auquel Serge Halimi avait consacré un article dans Le Monde Diplomatique ­ "Canal+ et José Bové: De la boue cryptée"[2]. C’est ce que montre également un reportage sur Olivier Besancenot qui n’est pas évoqué par le film et que nous avons analysé ici même: "Un portrait médiatique d’Olivier Besancenot en personnage médiatique".

Illusions

"Le cirque médiatique", enfin, multiplie les exemples qui montrent quel est le prix politique à payer quand on accepte, en toutes circonstances, de se soumettre aux injonctions des journalistes et des animateurs (être toujours disponible, avoir réponse à tout, respecter des règles de bienséance, etc.) et d’accepter des formats imposés, même quand ils menacent de défigurer le sens de vos propos. Faut-il, sans retenue, "jouer le jeu", c’est-à-dire "jouer leur jeu", dans l’espoir d’adresser au plus grand nombre, mais en contrebande, des fragments des idées que l’on défend?

Ce serait céder à des croyances illusoires. Les médias sont moins puissants qu’on ne le croit couramment et n’exercent pas leur "pouvoir" comme on le croit trop souvent. Attribuer aux médias dominants une puissance qu’ils n’ont pas, c’est, sous prétexte de se servir d’eux, contribuer trop souvent à accroître le pouvoir dont ils disposentŠ à commencer par le pouvoir d’intimidation qu’ils exercent contre ceux qui devraient les contester. Croire que des idées (et non pas de vagues impressions) peuvent gagner un large auditoire quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont exposées, c’est risquer de confondre la popularité d’un personnage médiatique avec l’adhésion aux positions qu’il défend. Mieux vaut prendre la mesure des dommages que peuvent provoquer de telles illusions - même quand on affirme qu’on ne les partage pas - si l’on veut se prémunir contre elles.

Le film de Damien Doignot, même si les exemples caricaturaux (mais réellement existantsŠ) qu’il choisit de rappeler et certains commentaires qu’il fait entendre peuvent le laisser supposer, n’invite pas ­ position intenable - à refuser toute médiatisation. Mais il incite à rompre avec la recherche d’une médiatisation à tout prix et à n’importe quelle condition: une médiatisation qui serait alors ­ quand elle ne l’est pas déjà Š - en guise de stratégie politique, une sorte de stratégie médiatique: un substitut.


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