Au Sénégal, les salles de cinéma sont en péril
·Concurrence des DVD et privatisation du secteur, cocktail nocif pour le ciné
Le cinéma sénégalais, dont l’icône Sembène Ousmane est décédée le 11 juin, traverse une profonde crise avec la fermeture
progressive de la quasi-totalité des salles à Dakar en raison notamment de la concurrence des DVD et de la privatisation du secteur. "Les gens ne viennent plus au cinéma. Le propriétaire exploite la salle à perte et l’a même mise en vente", indique Amadou Mamadou Ly, projectionniste au cinéma Liberté dans un quartier populaire de Dakar.
Ce cinéma est l’un des cinq derniers de la capitale qui en comptait une quarantaine au début des années 80. "ça ne marche plus à cause des DVD à domicile et du mauvais état de la salle. Le cinéma se trouve aussi dans un quartier où il y a des risques d’agressions", explique Ousmane Diouf, qui a travaillé pendant plusieurs années dans ce cinéma. "Un match de football retransmis sur écran géant (dans la salle du cinéma) rapporte plus qu’un film", souligne-t-il. Pendant ce temps, à Dakar, les vendeurs de films DVD prospèrent, en proposant des DVD piratés qui sont vendus à environ 2.000 FCFA (environ 3 euros) ou loués à 500 FCFA (moins d’un euro) pour un à deux jours. Les DVD étant le plus souvent regardés en famille, cela revient beaucoup moins cher que le cinéma, où le prix d’une place va de 150 FCFA (O,25 euro) à plus de 2.000 FCFA par personne.
Signe supplémentaire de la profonde crise que traverse ce secteur, le célèbre cinéma Le Paris, situé sur la place de l’Indépendance, au c¦ur de la capitale, a été démoli il y a deux ans. Depuis lors, un panneau annonce la construction d’un hôtel et d’une salle de cinéma. Mais les travaux n’ont pas encore débuté... Et à El Mansour, dans le quartier populaire de Grand-Dakar, la salle de projection est devenue un entrepôt de pièces automobiles et d’objets divers. Au début des années 1980, il y avait 78 cinémas au Sénégal, contre seulement 18 aujourd’hui, selon le ministère de la Culture. Chaque cinéma n’a qu’une seule salle. "Il y a entre 60 et 70 autorisations de tournage par an dont plus de la moitié sont effectivement tournés. Mais ces films (des courts et longs-métrages et des documentaires) sont davantage vus à l’extérieur" du pays, selon le directeur de la cinématographie au ministère de la Culture, Amadou Tidiane Niagane.
Banque mondiale et FMI
"On s’est fourvoyé avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui ont préconisé une privatisation du cinéma" dans les années 1980, affirme pour sa part le président de l’Association des cinéastes sénégalais, Cheikh Ngaïdo Bâ. "C’est la pire privatisation qu’on ait eue au Sénégal. La société (publique) qui gérait le cinéma faisant des bénéfices de 200 millions à 800 millions de FCFA (entre 305.000 et 1.220.000 euros) par an", assure M. Niagane, en référence à l’âge d’or du cinéma, pendant les années Senghor (1960-80). Pendant les mandats du poète-président, tous les secteurs culturels ont bénéficié d’un appui important de l’Etat sénégalais. En plus de la fin du soutien de l’Etat, le cinéma sénégalais a aussi été victime de problèmes d’organisation comme l’absence de billetterie nationale, selon les spécialistes.
En outre, le code de l’industrie cinématographie, qui régit le secteur et remonte à 2002, est à ce jour quasiment inappliqué. Le Fonds de promotion à l’industrie cinématographie promis en début d’année attend toujours une dotation de 3 milliards de francs CFA (plus de 4,5 millions d’euros). Et le centre national de la cinématographie, promis par les autorités, est toujours virtuel.
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