La politique a fait irruption mercredi au 60e Festival de Cannes, avec l’arrivée-surprise d’un documentaire sur Alexandre Litvinenko, l’ex-agent russe assassiné à Londres, tandis que Persépolis de Marjane Satrapi et son récit critique de la révolution islamique essuyait les critiques de Téhéran. Rebellion : l’affaire Litvinenko, un documentaire à charge contre le régime du président russe Vladimir Poutine, est signé par le cinéaste Andreï Nekrassov, 48 ans, un proche de l’ex-agent russe devenu opposant, assassiné à Londres avec une substance radioactive, le polonium 210, et décédé le 23 novembre 2006 à 43 ans. L’ancien colonel du FSB (ex KGB) avait rejeté la responsabilité de sa mort sur Vladimir Poutine dans une lettre posthume. Coréalisateur du film avec Olga Konskaïa, Nekrassov a suivi Litvinenko, qu’il considère à la fois comme "un ami et un héros" pour son opposition au régime russe, pendant plusieurs années après avoir fait sa connaissance début 2002 en Grande-Bretagne, a indiqué le cinéaste.

La veuve de Litvinenko, Marina, accompagnée de son fils Anatoli, 12 ans, donnera une conférence de presse demain à Cannes, jour de la projection du film hors compétition. Le documentaire, qui contient notamment un témoignage de la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée le 7 octobre, "est un film de mémoire, qui raconte non pas l’affaire Litvinenko dans ses derniers développements, mais plutôt qui était Litvinenko et qui sont les gens qui, en Russie, essaient de faire vivre une presse libre", a indiqué le délégué artistique du Festival, Thierry Frémaux.

Le Festival est ainsi en phase avec l’actualité la plus brûlante, puisque la justice britannique a demandé mardi l’extradition de l’ancien agent du KGB Andreï Lougovoï pour le meurtre de Litvinenko, ce que Moscou a refusé. "Les enquêteurs britanniques n’auraient pas accusé la partie russe s’ils n’avaient pas de raisons extrêmement précises", estime Andreï Nekrassov, tout en reconnaissant "ne pas savoir" qui a tué Alexandre Litvinenko.

La compétition cannoise a elle aussi pris une coloration plus politique mercredi, notamment avec le film d’animation Persépolis, où la Française d’origine iranienne Marjane Satrapi transpose sa BD autobiographique à succès, avec son coréalisateur Vincent Paronnaud. Très applaudi en projection de presse, ce dessin animé dresse un portrait vif, tendre et humoristique, d’une jeune femme issue de la bourgeoisie de Téhéran, forcée de s’exiler après la révolution islamique de 1979. Le régime iranien y apparaît violemment répressif des libertés individuelles, et en particulier celles des femmes. La sélection en compétition à Cannes de ce beau dessin animé a provoqué l’ire de Téhéran, qui a vu dans sa sélection "un acte politique ou même anti-culturel". Politique aussi, De l’autre côté du Germano-turc Fatih Akin, est un film émouvant, magnifiquement réalisé par le lauréat de l’Ours d’or de Berlin en 2004 pour Head-on, qui s’est d’emblée hissé parmi les favoris pour la Palme d’or.

Il dresse les portraits très contemporains de Turcs et d’Allemands dont les destins vont se croiser : une jeune activiste turque y fuit à Brême, après avoir protesté en Turquie, pour obtenir davantage de droits politiques et sociaux. Le festival de Cannes découvrait aussi un troisième film en compétition, The

man from London du Hongrois Béla Tarr, un polar aux ambiances portuaires tiré d’un roman de Georges Simenon, mais dont la lenteur a usé la patience d’un bon tiers de la salle.