Le festival Jazz à Luz attaque la source
·Pour sa 18e édition cette fin de semaine, la manifestation joue plus que jamais de son éclectisme à Luz Saint Sauveur
Parler de mélange des genres n’est pas vraiment vrai. Du reste, le terme évoque un revival qui est à l’opposé de ce festival, tout en expérimentation. Mais il est vrai que le syncrétisme est à l’¦uvre dans un programme qui, non content d’inviter des formations tentant des précipités esthétiques inouïs (mêlant blues, fanfare, bop, funk, pop, groove, contemporain... ), le fait en ayant à c¦ur d’y croiser de véritables métissages. C’est-à-dire où le lieu d’origine compte aussi, pour ce festival international. Etrange paradoxe entre la revendication d’un lieu et son nécessaire éclatement lors de l’envol collectif. Mais sans ce deux et deux font 5, qui jouerait du jazz ? Qui, chez ces musiciens que l’on croit à l’abri à tort, soufflerait sans savoir où son souffle le mène ? Le jazz est folie, peut-être enfance... C’est pourquoi Jazz à Luz ne mérite pas la métaphore de la majorité qu’évoque irrésistiblement ce chiffre : 18e édition. Pourquoi pas parler de "maturité", tant qu’on y est ? Les équipes de Jazz’Pyr’ et Enstein on the Beach travaillent ensemble, avec quelque 70 bénévoles, à ces quatre jours uniques, où tout un village vit le jazz intensément. Les lieux s’appellent chapiteau, salles de concert, troquets, cafés, bois, vieilles pierres, champs, rues... Le public est convié, le public est rattrapé. Les actes musicaux, qu’il s’agisse de concerts rodés, de créations, de b¦ufs, de performances (car il y a tout ça)... sont néanmoins canalisés en périodes clés. Les matins et après-midi pour les projets de musique improvisée en salle ; puis les concerts dans les cafés et autres; la soirée de concert proposant des orchestres "émergents" ; des secondes parties de soirée plus festives ; pour finir sur une note plus... "club" ? (rock, funk, jazz, musique électronique ou du monde). Le but: voir l’aube même en plein zénith, du reste... Bref, Jazz à Luz organise un juste désordre, avec un soin tout particulier apporté aux créateurs et aux publics locaux. Par exemple le repas des moutonniers en fanfare (suivi du débat), dont le verger est ouvert cette année à tout le monde sans distinction. Quoi de mieux qu’un coin de montagne pour venir puiser à la source ? Mais gaffe à la tentation synonymique... L’"origine"? Pouah ! Un cuivre épris de musique improvisée, même mal embouché, en cracherait de dégoût dans son instrument. Car aucune musique plus que le jazz ne se fait un tel devoir (le seul peut-être) que celui d’abolir le temps, pour mieux dilater l’espace et les pupilles et les pores de la peau. Pas forcément l’extase ou la transe, qui peut tomber dans la facilité comme tout le monde... Juste une manière de concentrer sa science et son talent en une invention radicale. Tel est un peu le sens du concept de "musique instantanée", que les organisateurs accolent à celui de musique improvisée... Tout comme trouver la formule n’a rien à voir avec le fait de briguer le juste milieu, puiser à la source est un acte bien différent d’une quête du passé. Car sinon, c’est la resucée qui guette, au mieux la nostalgie, au pire le conformisme "ça c’est du jazz... ça ç’en est pas", ses replis, ses codes naphtalinés, ses concessions au "marché" (et jusque dans ses niches underground). Beaucoup de jazzmen le sentent, le savent et le disent. Peu de festivals décident de faire de la vigilance inventive un des axes majeurs de leur programmation.
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