Madame, Monsieur de l’Académie française,

Je me permets de vous adresser cette lettre tellement je suis troublé par votre prise de position vis-à-vis des langues de France. Vous êtes tous et toutes des sommités dans différents secteurs de la culture française. Je plonge avec ravissement dans vos ouvrages. Bon nombre d’entre eux explorent diverses cultures, française, certes, mais aussi européennes, asiatiques, américaines ou bien africaines. Nul doute que si vous ¦uvrez au maintien et au rayonnement de la langue française, vos écrits reflètent également votre ouverture à l’universalisme. Et c’est bien là que le bât blesse. Comment se fait-il que, lorsqu’il s’agit d’une partie intégrante du patrimoine français je veux parler des langues régionales vous abdiquiez votre tolérance, vous préconisiez des opinions qui leur enlèvent toute reconnaissance, à l’encontre de l’ouverture aux autres que vous professez dans vos livres ? Cette partialité laisse songeur. En quoi ces langues si minoritaires vous paraissent­elles si redoutables ? Comment pouvez-vous être si ouverts à l’universalisme et si hermétiques à certains modes de pensée du moment que ceux-ci sont colportés par les langues alsacienne, basque, bretonne, etc.? Comment votre immense culture peut-elle mener à une aussi incompréhensible fermeture ?

Donnez-moi une seule bonne raison qui justifie que 214 ans plus tard vous marchiez sur les pas de l’abbé Grégoire qui fustigeait en son temps ces mêmes langues dans son Rapport sur la Nécessité et les Moyens d'anéantir les Patois et d'universaliser l'Usage de la Langue française . Avec quelques outrances, vous en conviendrez, lorsqu’il déclarait "Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand... La Contre-révolution parle l'italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreurs."

Si l’on peut expliquer les raisons de cette croisade linguistique, étant donné le contexte de la fin du XVIIIe siècle, il semble bien que l’insistance que vous employez à la poursuivre aujourd’hui ne soit plus de mise. Comment en 2008 pouvez-vous vous méprendre sur ce combat et enfourcher votre Rossinante pour pourfendre des langues qui ne présentent aucune menace, mais sont autant de joyaux de l’expression de la pensée universelle ?

Votre rôle est de veiller sur la langue française ; il n’est pas de malmener les autres langues de France. Elles perdurent, que vous le vouliez ou non ; elles sont toujours là. Cette durée est en soi un prodige linguistique. Et le linguiste qui sommeille en chacun de vous ne peut les traiter de la sorte, vous qui essayez de les rejeter aux oubliettes. Nulle langue ne mérite un tel traitement surtout lorsqu’il émane de gens de lettres tels que vous. Reconnaissez les qualités intrinsèques de nos langues régionales au lieu de les renier. Les aléas de l’Histoire ont fait qu’elles ont été distanciées, minorisées mais cela n’a affecté en aucune façon leur valeur. Flamand, basque, breton, corse,alsacien, occitanŠ chacune a son propre génie Et vous le niez. Mais nous ne sommes plus en 1790. Il serait temps que vous en preniez conscience.

Nous attendons que vous vous amendiez. Ce serait tout à votre honneur.