Un "cercle de silence" contre les Centres de rétention et les "atteintes aux droits des sans-papiers"
·Une vingtaine d’organisations de toutes obédiences se mobiliseront chaque premier vendredi du mois
A Bayonne, ce vendredi 2 mai, de 18h à 19h, une vingtaine d’associations organisent un "cercle de silence" pour s’opposer "aux conditions d’enfermement dans les Centres de rétention administrative" ainsi qu’aux "atteintes portées aux droits des sans-papiers" au travers de la politique menée par Nicolas Sarkozy.
"Nous voulons témoigner de notre solidarité envers les étrangers en situation irrégulière" avance Me Laurence Hardouin, présidente de la Cimade et qui animait hier la conférence de presse de présentation de l’initiative, en compagnie d’une vingtaine de militants venus d’horizons très divers. De la Cimade, de la Ligue des Droits de l’Homme ou du CCFD (Comité catholique contre la faim dans le monde), en passant par le PCF et le PSF, Les Verts, la FCPE, jusqu’à Abertzaleen Batasuna, Batasuna, le syndicat Lab ou Attac, le front se veut le plus large possible.
Cercles de silence
Le mode d’action choisi est le "cercle de silence", initié à Toulouse par les Franciscains et reprit désormais dans de nombreuses villes de l’hexagone dans le même esprit. "Nous avons déjà beaucoup parlé de toutes ces questions" souligne Me Hardouin, "nous espérons qu’en gardant le silence, les citoyens nous rejoindront". L’avocate souligne, alors que le centre de rétention d’Hendaye va bientôt rouvrir ses portes après des travaux ayant pour but de doubler la capacité d’accueil du centre, que "le département des Pyrénées-Atlantiques est l’un des départements où la Préfecture est la plus sévère et la plus ferme".
"Notre mouvement est prévu pour durer" soulignent ses organisateurs. "Nous voulons faire venir le plus de citoyens possible pour réagir face à ces violations des droits de l’homme" argue Michèle Lequiem, vice-présidente de la LDH.
Directive européenne
Le collectif tient à protester contre la directive européenne organisant la rétention à l’échelle européenne. Désormais, la rétention administrative pourrait durer jusqu’à 18 mois tandis que toute personne expulsée serait frappée d’une interdiction de séjour de 5 ans sur le territoire de l’UE. En France, celle-ci est passée, au fil des ans, de 7 à 12 jours puis à 32 jours aujourd’hui. Une mobilisation au niveau européen est en cours pour que la directive n’aboutisse pas.
Les associations ne sont pas en capacité de donner des chiffres au niveau départemental, car depuis que le Centre de rétention d’Hendaye est fermé, les étrangers arrêtés sont envoyés sur Paris, Bordeaux ou Toulouse.
La Cimade, qui est la seule organisation autorisée dans ces centres, fait savoir que celui d’Hendaye a construit une aile destinée aux familles, avec nursery scellée au mur. Le coût du nouveau centre est estimé à 4 millions d’euros.
Sans-papiers salariés
Concernant la régularisation des salariés sans papiers, suite aux grèves menées ces derniers jours, la Cimade reste "prudente" bien qu’elle instruise des dossiers : "au vu de ce qui s’est passé avec les familles, nous avons peur qu’il s’agisse d’un nouveau piège en vue de constituer des listes de personnes à expulser. Pour l’instant le risque est trop grand" pour inviter les sans-papiers à déposer des dossiers de demande de régularisation, note Laurence Hardouin.
Visite à Vladimir, "retenu" à Cornebarrieu
Marie COSNAY / membre de la Cimade
"Mardi 22 avril. J’ai connu Vladimir Kalachov par la
Cimade. Je vais le visiter à Cornebarrieu, le Centre de Rétention Administratif
près de Toulouse. Je n’arrive pas à le joindre sur son téléphone portable depuis
qu’il a été arrêté, pour la deuxième fois, à Bayonne, par la Police Aux
Frontières.
J’arrive au CRA cerclé de barbelés et sur lequel flotte
un drapeau français après une bonne marche dans la boue. Près de ma voiture,
j’en ai laissé une, dans laquelle deux enfants, seuls, semblent apeurés.
Le CRA est un non lieu à deux pas de l’aéroport de
Blagnac. Je dépose, à la demande de la jeune dame armée de l’accueil, ma pièce
d’identité et je laisse dans un casier tout ce que je possède. Crayons,
téléphone, sac. Je passe sous la borne et j’attends dans un sas. Bientôt la
jeune dame armée me prévient. Je peux y aller, numéro 110. Le numéro est inscrit
au crayon sur un bout de papier scotché sur une des portes. Nouveau sas.
Pièce-parloir surchauffée, sans aération. Vladimir est assis. Il m’apprend ne
pas avoir droit à son téléphone portable car celui-ci est muni d’un appareil
photo. Ne pas avoir droit à un stylo. Il me fait une liste des gens à prévenir,
des choses urgentes à accomplir concernant sa vie de tous les jours, chez lui, à
Bayonne. Il se plaint de ne pas avoir droit à un ballon. Il se plaint de ne
faire aucune activité. Ici, dit-il, les garçons remplissent d’eau des bouteilles
en plastique pour faire de la musculation et ne pas trop s’affaiblir.
"J’ai maigri de six kilos", dit Vladimir. D’autres sont
très maigres. C’est à cause du porc, il y a surtout des musulmans, et souvent on
mange du porc. "Et que nous met-on dans la nourriture", ajoute-t-il, "pour
qu’ici on dorme autant".
Il n’a commis aucun délit, répète-t-il. Il raconte
l’arrestation, au petit matin, les sangles de sécurité dans la voiture qui le
conduit, bien accompagné par la PAF, de Bayonne à Toulouse. "Je ne voyais pas
mes mains".
La visite est terminée, vient nous annoncer la jeune
dame armée. Je sors, surveillée par une dizaine de caméras de plafond.
Le lendemain, je porte à Vladimir un téléphone portable
sans appareil photo dans lequel il pourra introduire sa carte SIM. Il tient
ferme le téléphone pendant les quelques heures que dure la visite. Le sourire
revient, il y a "les potes" qu’il va prévenir, enfin. Il sera bientôt de retour
chez lui, à Bayonne, dit-il. Il ne sait pas quel jour nous sommes. Il ne sait
rien de l’heure. Nous avons très chaud dans la pièce-parloir. Nous voulons
ouvrir une porte. Couloir à droite, couloir à gauche. Nous voulons un stylo pour
faire la liste des messages que Vladimir veut transmettre chez lui, à Bayonne.
Les stylos sont interdits dans le Centre. Je veux aller en chercher. La porte
est fermée. J’appuie sur la sonnette. J’attends. La jeune dame armée nous tend
papier, stylo.
Le manque d’activité physique rend fou. Il y a un
jardin, il fait quelques mètres carrés et surtout, dit Vladimir, il est encerclé
de trois murs, trois protections, - un deux trois, répète-t-il. Trois, on ne
risque pas de s’échapper. Il rit. Vladimir attend que les pièces justifiant la
mort de ses parents, en Géorgie, soient prises en compte. Il dit que la Géorgie
et la France, c’est pareil, si ce n’est qu’en France, la police ne frappe pas.
Il raconte. Il raconte les violences subies, la Géorgie, ses 14 ans. Il ne cesse
de raconter. Nous ne voyons pas le temps passer. Il y a de la fatigue, quelque
chose de flottant, hors du lieu, hors du temps. De l’empressement à dire. Et
chez moi, quelque chose comme de la honte. Par la porte que nous avons
entrouverte, on vient nous dire que la visite est terminée. On s’embrasse.
Encore un sas. Je réalise, debout, que la chaleur, le vide, l’absence de lieu
réel m’ont donné une féroce migraine. Ouverture des casiers. 18h, le centre
ferme. Une visiteuse pleure, elle n’a pas pu arriver à temps pour voir la
personne qu’elle voulait voir. Retour à la voiture dans la boue, avions tout
près, grillages, barbelés.
Aujourd’hui je n’ose pas appeler Vladimir. Quand je le
fais, il croit que j’ai des nouvelles à lui donner. De bonnes nouvelles, bien
sûr, celles qu’il attend. Celle qu’il attend. Qu’il peut rentrer chez lui, à
Bayonne."
|