Camille Stromboni - Libération.fr
Livret A : le cadeau fait aux banques
Le projet de loi relatif à la fin du monopole du livret A a été présenté, lundi matin, au Conseil des ministres parmi les autres dispositions de la loi sur la modernisation de l’économie (LME). Les animateurs du collectif Pas touche au livret A qui avaient investi, mercredi, le siège de la fédération bancaire expliquent leur action.
Jean-Baptiste Eyrault (Droit au logement) : Le livret A et l’épargne populaire doivent conserver leur vocation d’origine : produire des biens d’intérêt général. Les fonds déposés par l’ensemble des citoyens sur leurs livrets sont actuellement centralisés à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui les prête ensuite aux organismes chargés du logement social, à charge pour eux de construire, d’acheter, de promouvoir. Avec son projet de réforme qui met fin au monopole de la Poste et la Caisse d’épargne, l’Etat s’apprête à livrer aux banques privées jusqu’à 40% de l’épargne collectée. La Poste et la Caisse d’épargne reversent aujourd’hui l’intégralité des dépôts du livret A à la CDC. Même si le gouvernement refuse de l’avouer, c’est une opération de soutien aux banques, dans un contexte de crise financière. Seules les banques ont d’ailleurs été réellement consultées. C’est une véritable spoliation.
La CDC fait aujourd’hui crédit à l’ensemble des bailleurs sociaux, avec le même taux d’intérêt pour tous. Lorsque ces derniers ne recevront plus l’argent de la CDC, ils vont devoir s’autofinancer. Les petits bailleurs ne pourront plus emprunter car les taux d’intérêt seront bien plus élevés. On se dirige vers des hausses de loyers mais aussi vers une multiplication des ventes des logements sociaux. Notons bien qu’un logement social vendu, c’est toujours un logement social de moins. Une partie du parc HLM va sortir de sa mission sociale, ou même disparaître du marché. En bout de course, les banques ramassent le pactole, sans aucune contrepartie, sur le dos des épargnants, des ménages pauvres, des mal-logés, des usagers en zone ruraleŠ Noyée dans le projet de loi de "modernisation de l’économie", cette mesure est très peu connue par la population, tout comme la fonction sociale du livret A. Le débat est étouffé. Pour les banques, le silence est d’or.
Nicolas Galepides (Sud PTT - la Poste) : Le livret A, c’est 46 millions de détenteurs (un total de 143 milliards d’euros), dont 60% disposent de moins de 200 euros. Ses avantages sont uniques. Avec une simple adresse et des papiers d’identité, français ou non, la Poste est obligée d’ouvrir un livret à toute personne qui en fait la demande. Il constitue le seul moyen d’accéder à un compte pour les étrangers en situation régulière ou irrégulière, les personnes sous le coup d’interdits bancaires ou les sans-logis qui ont gardé une ancienne adresse par exemple. Outre les mandats, les chèques de banque sont gratuits, alors qu’ils coûtent en moyenne 8 euros dans le privé. Enfin, l’argent est garanti par l’Etat. Avec la mise en cause du monopole de la Poste et de la Caisse d’épargne, ces avantages risquent de disparaître pour le petit épargnant. En effet, lorsqu’une banque ouvrira un livret A, seulement 60% de la somme sera centralisée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Les 40% restants pourront être investis par la banque dans des actions plus juteuses, et plus risquées sur le marché des capitaux. Les banques vont essayer de capter les livrets à tout prix. Elles vont inciter ces petits ou grands épargnants - 3 millions de détenteurs de livret A ont plus de 7000 euros dessus - à ouvrir leur livret chez elles. Une fois le livret A rapatrié, le client sera invité à vider son livret sur des placements ou des comptes qui rapportent plus. Ce matraquage existe déjà, mais la démarche sera plus facile lorsque le livret A et le compte courant seront dans la même banque. Un simple "oui" suffit pour faire passer l’argent d’un compte à l’autre.
Philippe Larasse (CGT - Caisse des dépôts) : La Commission européenne s’est prononcée pour l’ouverture à la concurrence après la plainte déposée par quatre banques concernant le monopole du livret A en France. Le gouvernement possède cependant un moyen de s’opposer à cette libéralisation : ce monopole est justifié par la nécessité de financer le logement social, qui est un Service d’intérêt économique général (Sieg), et de maintenir l’outil de bancarisation des démunis qu’est le livret A. L’Etat a en effet déposé un recours en ce sens, mais il ne le défend absolument pas puisqu’il a confié une étude à Michel Camdessus pour organiser la banalisation du livret A, qui aboutit à ce projet de réforme. L’Europe n’est qu’un prétexte pour satisfaire les banques.
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