Lieu : "théâtre des nombreux pâturages". Titre : "les regains d’Intxauseta". Bon, entre les guillemets, ça vous a un air furieusement bucolique. On pense à l’injustice dont a souffert Jean Giono, que ses contemporains voulaient mordicus affubler de la redingote d’auteur "régionaliste", célébrant la soi-disant douceur de son pays quand personne comme lui n’en a révélé la violence. C’est que pour être au diapason de la nature il faut suffisamment la connaître et ne pas trop l’aimer. Du moins pas de ces passions molles et roses d’un roman d’Arlequin (Oh la jolie vache ! elle regarde passer la transnavarraise ­ c’est mignon...).

A Bunus (Soule, Pays Basque, Europe, Monde), le théâtre des nombreux pâturages, c’est tout simplement le camping Intxauseta. Et n’y cherchons pas une tranquillité grasse et verdoyante offerte à notre appétit de repos intellectuel. Foin des cerveaux disponibles.Ici, on ne rumine pas, on ne remâche pas de sombres pensées : cela fait 28 ans que l’on questionne avec bonheur et pugnacité le monde et qu’on y propose des alternatives à la pensée unique. Hier, s’est tenue l’édition 2007 des entretiens, consacrée au logement (lire en page 5).

Quel rapport avec l’art et la culture ? Tout. L’esprit de la maison n’est pas à la séparation des genres et lorsque l’on parle de questions écologiques par exemple, on connaît ses dossiers, on invite des personnalités, mais on n’est pas dupe pour autant du fait que l’on se bat très souvent avec les armes de l’adversaire : "l’environnement ou la biodiversité, ces mots stériles et grisâtres inventés dans des bureaux aseptisés afin d’annihiler toute vie sans contrainte", écrit la militante écolo Jenofa Cuisset dans un texte consacré à Piarres Erdozaintzi, quant à son rapport à la nature.

Ce sculpteur est l’artiste invité cet été par Intxauseta. Né en 1957 à Saint-Just-Ibarre, en Basse-Navarre, il est employé aux ateliers d’Art de Navarre, près de Navarrenx, pour se former à la décoration des meubles de style. Trois maîtres sculpteurs de tempérament différents lui prodiguent leur art. En 1979, il s’installe dans un bâtiment attenant à sa ferme natale, et réalise régulièrement diverses commandes et réalise en 1991, en ronde-bosse, le buste du bertsulari Mattin Treku d’Ahetze en marbre d’Arrudy. Par la suite, il travaille sur d’autres variétés de roches. En participant à "Uda erakusketa" en 1999 et 2000, il s’affirme en plein air, par ses structures de fer habillées de plâtre, à Intxauseta, où il participe au "parcours de fermes" en 2001 avec une installation créée spécialement. Les matières dures comme le marbre ou la roche, qu’il nomme souvent "autochtone" pour dire l’attachement au matériau de là où il crée, fraient avec le bois. Chêne bien sûr, mais aussi merisier, frêne, houx... en des figures qui gagnent en abstraction avec le temps.

Misere (1983) est une tête de femme dont la tristesse explicite (la larme) se double d’une plus énigmatique mélancolie : la figure imposée de la main sur le visage est une main noueuse qui pourrait ne pas lui appartenir. Buste rappelant la statuaire du moyen âge, d’avant le personnage, et dont le contrepoint semble paradoxalement être Exhalaison (1987), la seule pièce en métal inoxydable à l’épure totalement différente, naïvement saisissante. Pour le bois, toute une série d’assemblages visant l’abstraction géométrique, l’art pauvre, ou une variation sur le blason... Tout cela est très divers, mais le public hésite à y reconnaître le geste d’une gravité religieuse à exalter la matière ou celui d’une joie impie à la transformer. Ainsi va-t-il de l'art à Bunus : la nature n’y est pas un décor, mais un acteur.