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Le JPB > Sujet à la une 2006-05-27
Traite négrière, le Pays Basque en fut
·Le passé de port négrier de Bayonne, méconnu, a été évoqué à Tarnos pour "commémorer" l’abolition de l’esclavage.

L’événement est localement passé inaperçu. Mis à part des initiatives à Tarnos et à Cambo, peu de choses pour la première commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai. Encore moins pour évoquer le passé négrier d’un port comme Bayonne.

Ce n’est qu’au début des années 90 que Nantes se penche et reconnaît son rôle dans la traite négrière notamment par l’exposition "Les anneaux de la mémoire". Bordeaux semble maintenant s’y intéresser. A Bayonne, rien. Précisons de suite que le commerce triangulaire n’y est pas de même ampleur. Dans son monumental répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle de Jean Mettas (il en déniche 3317), la ville de Nantes occupe un volume sur deux. Bordeaux, La Rochelle et Le Havre totalisent le tiers des expéditions négrières selon Eric Saugera (La traite des Noirs en 30 questions, Geste Éditions). Le port de Bayonne fait partie du groupe des "gagne-petit", avec Rochefort, Vannes, Brest, Morlaix, Dieppe, Cherbourg, Saint-Brieuc, Marans ou Sète, où le nombre d’expéditions est inférieur à 20. A Bayonne, Jean Mettas en dénombre neuf au XVIIIe, auxquelles il faut ajouter celle, illégale, de L’Utile (lire par ailleurs).

La Chambre de commerce de Bayonne explique que "au XVIIIe siècle, le port de Bayonne apparaît essentiellement comme un port de cabotage à destination de l’Espagne ou du royaume" (voir document page 3). Le problème majeur pour son trafic, non réglé, est le franchissement de la barre (bancs de sables mouvants) à l’embouchure de l’Adour pour les navires de haute mer.

Si minime soit-elle, la participation du port bayonnais au trafic d’esclaves est néanmoins réelle. Et tue. Le Tarnosien Louis Gouardes de l’association Initiative citoyenne pour des actions de solidarité internationale (ICASI) paraphrase l’historien nantais Serge Daget "est-on moins esclavagiste pour n’avoir déporté que 100 ou 200 Africains plutôt que 10000?!". Outre-Bidassoa, la participation des Basques à l’esclavage, via l’Empire espagnol, est plus ancienne. Les colons et planteurs sont demandeurs d’une telle main-d’¦uvre. En revanche, étant sur le déclin, le royaume d’Espagne cède la place aux puissances française, anglaise, hollandaise et n’organise pas le fameux commerce triangulaire.

Avec la municipalité de Tarnos, l’ICASI a multiplié les animations ce mois de mai: exposition; débat avec Karfa Diallo, sociologue et président de l’association Diverscités à Bordeaux et Jean-Claude Tchicaya adjoint au maire de Bagneux et membre de l’association Devoir de mémoire; projection du film Little Senegal de Rachid Bouchera dont le dernier film Indigènes ne passe pas inaperçu à Cannes; et un rappel de la participation bayonnaise à la traite notamment à travers le navire L’Utile affrété en 1764 qui a échoué près de Madagascar avec sa cargaison d’esclaves, et dans lequel 11 Tarnosiens ont été identifiés par le Cercle de généalogie du Bas-Adour.

Négociants inquiets

"Il ne s’agit pas de passer Bayonne au pilori" explique l’enseignant d’histoire aujourd’hui à la retraite, "mais d’affirmer que toute la façade atlantique a participé à l’esclavage, c’était la mondialisation de l’époque". Les études sur le passé négrier de Bayonne sont rares. Des documents sont pourtant là. Louis Gouardes évoque ainsi une convocation des négociants en 1791 pour se rendre en mairie afin de délibérer sur les événements de St-Domingue la révolte des esclaves est en marche, avec Toussaint Louverture à leur tête, pour aboutir à l’indépendance d’Haïti en 1804. "Des négociants sont impliqués dans les plantations, et la réunion n’a pas pour objet d’abolir l’esclavage..."

Quelles sont les richesses générées au Pays Basque par le commerce triangulaire, quelles en sont les traces aujourd’hui? Impossible à dire en l’absence de recherche. Cependant, L. Gouardes signale que "des entrepôts qui sentent la fève de cacao, ça ne venait pas de Baigorri".

Madeleine Dupouy évoque dans son ouvrage Les Lamaignère de Bayonne: essor et déclin d’une famille de négociants du XVIIe au XIXe siècle (Ed. Atlantica) leurs relations avec le commerce colonial. On sait que la Compagnie des Indes a ses correspondants à Bayonne, dont la Maison de commerce Jean Joseph Laborde et Cie (lire ci-dessous).

Le responsable de l’ICASI qui mène par ailleurs des projets de solidarité au Sénégal et en Guinée-Bissau juge l’évocation de ce passé nécessaire: "Non pour figer le passé, mais pour s’appuyer dessus et construire d’autres rapports". En revanche, il se refuse à "comparer les culpabilités" entre les différentes traites occidentale, interne et arabe notamment s’il s’agit de minimiser celle de l’Atlantique qui en trois siècles a été quantitativement aussi importante que la traite arabe en 2000 ans.

Et de rappeler que l’esclavage perdure aujourd’hui au Soudan (dans le Darfour en particulier), dans des pays comme le Ghana, ou encore à Paris même, citant le cas de grands bourgeois ne rémunérant pas leurs servantes.

Commerce colonial en 3e position

LA CCI indique que "L’Espagne est le client essentiel du port de Bayonne à la fin du XVIIe siècle. Sur un total en valeur de 13212794 livres pour les exportations [en 1780], l'Espagne réalise ces chiffres de 11 407 223 livres devant les pays de la mer du nord, la Flandre, la Hollande, les Isles Françaises d'Amérique, le Danemark et le Portugal. Pour les importations, l'Espagne totalise une somme de 5525 754 livres sur une somme globale de 7 811 730 livres." On remarquera que les importations des "Isles Françaises d’Amérique" occupent la troisième position avec 571623 livres, après la Hollande.

Compte-rendu de l’expédition de L’Heureuse Société en 1765

« Le navire L’Heureuse société de Bayonne Capitaine Pierre Dolhonde, armé par Mazères L’aîné, sortit de ce port 23 mars 1764. pour aller faire la traite des Negres à la Côte D’or ou le dit Capitaine étant mort, le SieurJean Louis Leblancq Son Second prit le Commandement et fit son retour a Saint Marc le 3 avril 1765. y ayant introduit 249. Negres sur le nombre de 288.. qui avaient été traité. La vente des 249.. Captifs a produit trois cent trois mille cinquante livres au dit Lieu de Saint Marc. »

Archive n°H-38 n°20 CCI de Bayonne



Un négrier bayonnais intéresse l’Unesco
I.E.

L’Unesco en parlait pour l’année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage en 2004. L’instance internationale a lancé un programme pour commémorer le naufrage du bateau négrier clandestin L’Utile parti de Bayonne en 1761. Le projet intitulé "Esclaves oubliés" vise à entreprendre cette année une fouille archéologique sous-marine sur l’épave de L’Utile et des recherches archéologiques à terre pour retrouver les traces du séjour des naufragés sur l’île et élucider leurs conditions de survie. Un film est également en projet pour être diffusé en 2007, avec un livre grand public et des publications scientifiques. A ce jour, peu d’échos sont parvenus jusqu’à nos rivages, si jamais ils ont été sollicités.

L’Utile une flûte de la marine royale vendue à la Compagnie française des Indes Orientales, partie de Bayonne pour les Mascareignes le 17 novembre 1760, fait naufrage le 31 juillet 1761 sur l’île de Sable (actuellement Tromelin), alors qu’elle transporte des esclaves provenant de Madagascar destinés à l’île de France (Ile Maurice). L’équipage construit alors une embarcation de fortune et laisse 60 esclaves sur l’île, promettant de venir les rechercher. Cette promesse ne fut jamais tenue et ce n’est que quinze ans plus tard, le 29 novembre 1776, que le chevalier de Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, récupérera huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois.

Max Guérout du Groupe de recherche en archéologie navale (Gran) qui pilote l’opération placée sous le patronage de l’Unesco explique qu’"en raison du blocus anglais, L’Utile était parti de Bayonne pour Madagascar où il fait escale pour charger des vivres. Le commandant La Fargue décide d’embarquer une soixantaine d’esclaves contre les ordres du Gouverneur, et il met le cap sur l’Île de France (actuellement Maurice). Dérouté par le mauvais temps, le bateau se fracasse contre les écueils de cette petite île d’un kilomètre carré, qui porte aujourd’hui le nom du sauveur des quelques rescapés : Tromelin".

Construit pour la marine royale, L’Utile est vendu en 1759 à la Compagnie des Indes qui le fera armer par son correspondant à Bayonne, la maison de commerce Jean Joseph Laborde et Cie, dirigée par Jean-Joseph Laborde, futur banquier de la couronne, et François Nogué. J.J.Joseph Laborde, originaire du Béarn, est un important négrier installé à Bayonne : entre 1766 et 1789 il affrète plus de 20 expéditions négrières transportant près de 9 000 esclaves. Assurant ainsi le recrutement pour son propre compte à St-Domingue où il a une vaste plantation. Ce qui ne l’empêchait pas d’apprécier les arts et d’être le mécène de peintres comme Joseph Vernet (voir détail ci-dessus).


 
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