On me demande d’aider à la libération de Philippe Bidart par un témoignage personnel Nundik ez, comme dit l’eskuara, pas question de refuser. Non seulement parce que c’était un ami, mais aussi parce qu’on doit se rappeler qu’il n’y a pas eu dans son action que des côtés durs et dramatiques, mais aussi des aspects pacifiques et constructifs. Ainsi il a énormément ¦uvré avant son incarcération à l’enseignement du basque aux enfants et à l’édification des ikastola. Tout dernièrement encore, il a écrit dans sa cellule, dédié à ses filles, un livre excellent racontant d’une façon saisissante ses premiers jours de prison en isolement, le tout dans un basque vivant, riche et facile à lire. Un moment viendra où, peut-être, notre pays sera une entité dont l’originalité et l’autonomie culturelles seront accomplies et reconnues et, ce jour-là on fera les comptes et on se rappellera à qui on le devra. Je pense que dans ce domaine nous sommes sur le bon chemin, grâce aux avancées constitutionnelles conquises depuis trente ans, grâce aussi à bien des progrès et des prises de conscience au nord comme au sud. Mais je sais également que l’eskuara est loin d’être sauvé et que j’entends beaucoup de castillan dans les rues de Bilbao, de Gazteiz ou même de Saint-Sébastien (ne parlons pas de certains villages basques du nordŠ) et je pense avec nostalgie à Barcelone où même les grands bourgeois et les intellectuels parlent catalan. Je pense aussi que de plus en plus de peuples du monde ont un cinéma national qu’ils exportent et qu’on peut voir à Paris ou à Londres, et que nous sommes loin de là.

Donc au jour où on reconnaîtra à qui on doit la renaissance de notre langue, de notre littérature et de bien d’autres aspects de notre personnalité intellectuelle et artistique, on sera étonné de découvrir dans cette liste la diversité des attitudes et des sensibilités politiques, depuis des régionalistes sincères ­ que je respecte ­ jusqu’à ceux aux méthodes plus dures. Mais ils auront tous ¦uvré dans le même sens. Sans oublier qu’il faut savoir que, dans l’autre camp, beaucoup de ceux qui vitupèrent contre toute tentative basquiste sous prétexte qu’elle serait indépendantiste, sont en définitive tout simplement anti basques et se fichent totalement que notre langue meure ou non.

Revenons donc à Philippe Bidart pour rappeler son idéalisme ardent et pour dire que, quand on pense à la punition carcérale que lui a value sa faute et qu’on compare son cas aux grands brigands et aux grands criminels qui non seulement sont en liberté mais dirigent le monde, on demeure confondu devant ces deux poids deux mesures. J’exagère ? Et pourtant combien de grands politiques ou d’industriels champions de malversations financières sont en liberté ! Et qui refuse de signer le protocole de Kyoto entraînant les catastrophes climatiques et les morts que l’on sait, quid de ces grands trusts pharmaceutiques qui laissent mourir du sida des Africains par millions ? Alors laisser en prison Philippe Bidart toute sa vie provoque en comparaison bien de l’amertume. Il s’est engagé à fond, les circonstances l’ont mené trop loin, mais il a maintenant largement payé. Rendez-le nous au plus vite et n’oublions pas que l’avenir dira si le rêve de quelques jeunes fous romantiques au patriotisme basque ardent était une utopie ou au contraire devenu une réalité. Et comme cela est arrivé souvent chez d’autres peuples, ces rebelles punis durement entrent ensuite dans la légende.