D ans notre dernier article, nous avions mis en garde contre une ratification du traité parlementaire effectuée par la voie parlementaire : quelque cinq cents parlementaires s’arrogeaient le droit de s’opposer à quelque vingt millions de citoyens qui s’étaient exprimés le 29 mai 2005. C’est bien sûr les pratiques et non pas seulement sur la conception de la démocratie que l’on peut juger l’état de notre société et surtout de nos élites, toujours convaincues que le peuple a tort et qu’il vaut mieux ne jamais lui donner l’occasion de donner sa raison.
Le traité de Lisbonne, fondé sur le mépris de la loi du plus grand nombre aura au moins un effet, celui de faire mourir la démocratie ; il est inquiétant qu’il n’y ait que des historiens pour s’en apercevoir et le dire dans les médias.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus de la totale nocivité de ce traité, l’exemple du traitement des services publics dans ce texte devrait néanmoins leur permettre de se poser quelques questions. En effet on trouve dans un protocole du traité l’annonce de la définition de SIG (Service d’intérêt général) : l’introduction de ce protocole affirme que les SIG sont une valeur de l’union et que les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des états membres relatives à la fourniture, la mise en service et l’organisation des services non économiques d’Intérêt général. Cette introduction semble donc protéger les services non marchands de la concurrence. Mais il ne faut pas oublier que les introductions (comme les préliminaires ou les préambules) n’ont aucune valeur juridique contraignante. Or dans les articles du protocole, il n’est jamais question des SIG mais seulement des SIEG (Services d’intérêt économique général) dont la définition est donnée (toute activité économique) et qui doivent être soumis à la loi de la concurrence "libre et non faussée".
On retrouve là toute l’ambiguïté des textes rédigés pour l’Union européenne qui annoncent, mais ne définissent pas, qui définissent et contraignent ce qu’ils n’annoncent pas.
Les services publics ne font pas consensus dans l’UE ; ce qui a fait la spécificité du modèle social européen n’est plus aujourd’hui une valeur européenne.
De nombreuses organisations politiques et syndicales (et en particulier la CES, confédération européenne des syndicats) ont longtemps espéré une directive cadre sur les services publics. Une directive cadre est un texte réglementaire rédigé par la commission européenne, de sa seule initiative et alors même que la commission européenne est constituée de personnes, experts et techniciens, qui n’ont pas été élus à cet effet. Depuis dix ans la gauche européenne, le parlement européen et même le conseil des chefs d’Etat demandent à la commission cette directive cadre sur les services publics. Trois jours après la signature en grande pompe du traité de Lisbonne, la commission a rendu sur le sujet une décision négative et définitive, décision que personne ne peut remettre en cause, au motif que le protocole sur les SIG suffisait. Or l’analyse que nous en avons faite plus haut montre bien qu’il n’y a aucune définition juridiquement contraignante de ces SIG. Les maires, inquiets depuis longtemps de la disparition des services publics dans leur commune se sont vu répondre par Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux affaires européennes le 21 novembre que le gouvernement considérait parfaitement légitimes leurs préoccupations sur les services publics et qu’ils pouvaient compter sur son soutien. Nous continuerons à agir auprès de la commission pour faire vivre ce protocole et pour sécuriser les services publics .
Quelle occasion ratée pour Monsieur Jouyet de ne pas avoir cherché à faire préciser ce protocole, avant la ratification, afin que la Commission européenne ne puisse l’interpréter de la manière la plus minimaliste qui soit.
Et quelle occasion ratée pour les maires inquiets de ne pas avoir suscité de débat avant la ratification de ce texte dont on va découvrir lentement mais sûrement les dangers et en particulier au niveau des collectivités territoriales.
Quelle occasion ratée pour des maires comme Messieurs Grenet ou Borotra qui ont signé le traité de Lisbonne sans pour autant justifier leur vote auprès des citoyens qui le réclamaient, et le protocole alors qu’ils savaient que les textes qu’ils signaient étaient interprétés par la commission à l’inverse de ce que l’association des maires de France en attendait.
Faut-il penser qu’ils évaluent mal pour leur municipalité les enjeux européens ou qu’ils les ignorent volontairement, estimant que leur double mandat fait d’eux des citoyens doubles dont la main droite ne sait ce que fait la main gauche.