Jakes Abeberry / Adjoint au maire de Biarritz
Le modèle républicain
Couvre-feu, telle est la mesure radicale prise par le Premier ministre Dominique de Villepin au bout de onze nuits de violence dans les banlieues. Il a donc fallu recourir à une loi de la guerre d’Algérie pour tenter de maîtriser ce que l’on appelle désormais des émeutes. Du jamais vu dans l’histoire intérieure pourtant tourmentée de la France, une sorte de jacquerie urbaine qu’aucun sociologue ne peut clairement définir. Ce drame sociétal est d’autant plus inquiétant que, nuit après nuit, il prend de l’ampleur et s’étend à presque toutes les grandes villes. Ce crescendo bouscule les institutions au point que l’on songe à rappeler 1500 policiers et gendarmes à la retraite et que certains pensent même faire appel à l’armée. Ces mesures sont suggérées par des maires et élus locaux, pourtant fortement impliqués sur le terrain. Impuissants à rétablir l’ordre, à sauver les équipements sociaux livrés aux incendiaires, ils s’en remettent à l’autorité des Préfets. Cette abdication de la démocratie locale n’est pas le moindre des dégâts de cette vague insurrectionnelle à nulle autre pareille puisque, apparemment, aucune idéologie, aucun projet alternatif n’anime les émeutiers.
L’heure n’est pas à l’analyse des causes de cet embrasement, bien qu’il faille s’y pencher sérieusement si l’on veut éviter qu’il ne se reproduise, elle est au rétablissement de "l’ordre républicain" comme l’on dit de la droite à la gauche. Un couvre-feu et l’état d’urgence, non pour rétablir l’ordre, mais l’ordre républicain. Le mot est lâché, ainsi nous entrons dans le sacré, l’incantatoire, l’exception française. Personne ne parle plus, en effet, pour brocarder Chirac ou pour louer ses dons de visionnaire, de fracture sociale. Nous sommes bien au-delà, dans un ailleurs que politiques et sociologues sont impuissants à cerner. C’est le modèle social français, tant loué, souvent donneur de leçons, qui chavire et avec lui l’intégration républicaine qui a fait ses preuves depuis plus d’un siècle. Mineurs polonais, saisonniers ruraux italiens et espagnols, maçons portugais, même la première immigration maghrébine issue de la colonisation et directement appelée par la France pour son industrialisation, au-delà des souffrances et des opprobres xénophobes, font aujourd’hui partie intégrante de la société française. Comment, dès lors, expliquer l’échec de l’intégration de la deuxième génération, celle des beurs pourtant nés en France?
Bien au-delà de la seule intégration, c’est l’ensemble du monde des banlieues blancs, blacks, beurs qui fait voler en éclats le mythe du modèle républicain. Le monde entier, stupéfait reçoit les images d’un incendie qui dévore un modèle si souvent arrogant. Quelle que soit la part de responsabilité de l’actuel gouvernement de droite réduction de la police de proximité, des médiateurs et des subventions aux associations, suppression des emplois jeunes entre autres, auxquelles il faut ajouter l’usage de mots provocateurs, le drame a pris sa source au plus profond des dernières décennies façonnées tour à tour par la droite et la gauche. Mais gare, si trois ou quatre nuits de violence mettent en accusation Sarkozy, la pérennisation du drame peut le faire apparaître comme le plus sûr bouclier sécuritaire. S’il n’est pas mis fin à la violence, les bonnes gens se rangeront du côté des tenants de l’ordre, républicain ou pas. Un nouveau 21 avril 2002 n’est désormais plus à exclure.
|