08-12-05 / Par Alain Rousset, président du Conseil Régional d’Aquitaine
Le verrou jacobin
·Le Monde
Les violences urbaines de cet automne sont un témoignage de plus d’une société bloquée, sans projet mobilisateur, tentée par une sorte de dérive nihiliste. D’autres signes ont depuis longtemps éclaté au grand jour : la défiance civique qui conduit à la montée des extrémismes et du populisme, la dénonciation tous azimuts des élites, le repli communautaire et corporatiste...Ce sont là les facettes d’une même crise, alimentée par l’impuissance publique face au chômage persistant, aux inégalités de revenus, de logements, de santé et d'éducation, face aux discriminations de toutes sortes qui déchirent le tissu social, en particulier dans l’accès à l’emploi. (...) Depuis vingt ans le fossé ne cesse de se creuser entre une société qui ne demande qu’à libérer sa créativité et un Etat qui se mêle de tout, se voulant tour à tour stratège, arbitre et régulateur, mais se révélant fragile et défaillant. Les limites du centralisme français (...) nous les rencontrons chaque jour : dans la lutte contre le chômage, (...) dans la sphère économique, (...). Il faut reconnaître que si, à gauche, nous avons fait beaucoup pour libérer les initiatives, nous nous sommes arrêtés, hélas, au milieu du gué. Et puisque "changer la vie" demeure notre projet, commençons par comprendre que l’anachronisme d’un Etat omniprésent est aujourd’hui l’une des principales causes de blocage de notre société. Cela suppose une véritable révolution culturelle et, d’abord, de comprendre pourquoi il est si difficile, en France, de bâtir une République décentralisée. Il y a, bien sûr, l’empreinte laissée par le jacobinisme multiséculaire. Il y a, surtout, un immense travail à accomplir pour convaincre des atouts de la décentralisation. Au contraire ! L’Etat aurait encore beaucoup à faire pour assumer correctement ses fonctions régaliennes (...), régulatrices (...), stratégiques (...), celles liées aux droits fondamentaux de la personne (...). Regardons la dynamique créée par les lois Defferre à partir de 1982 (...). A chaque fois, à chaque étape, la décentralisation a montré qu’elle pouvait, mieux que l’Etat, composer avec les réalités locales, dans un souci de réduction des inégalités sociales et territoriales. L’Espagne est un bon exemple des dynamiques à l’¦uvre lorsque de nouvelles complémentarités sont instaurées entre Etat central et pouvoirs locaux. (...) Cessons, enfin, d’agiter la peur d’une décentralisation pourvoyeuse de potentats locaux, de clientélisme, voire de corruption. L’Etat est-il apparu, depuis vingt ans, plus vertueux, plus soucieux de l’argent public que ne le sont les collectivités locales ? Ma conviction est que notre démocratie ne sera pas adulte, que les lignes de notre société ne bougeront pas, tant que nous n’assumerons pas la décentralisation. (...) La clef d’entrée dans la République décentralisée me paraît tenir à quatre mesures : régénérer le Sénat (...), supprimer le cumul entre fonctions exécutives locales et mandats nationaux (...), bâtir un véritable statut de l’élu local (...), réformer enfin la fiscalité locale (...) Il ne s’agit plus, comme il y a vingt ans, de s’en tenir à un réglage technocratique des institutions, (...) il s’agit de savoir si la France entend, oui ou non, se doter d’un pouvoir local capable de faire bouger le pays. C’est en jetant les bases d’une décentralisation franche (...) que la France pourra crever l’abcès du jacobinisme (...).
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